Komunalka
« Des coups de pied dans la porte de ma chambre. Je me réveille brutalement. Il est quatre heures du matin. Deux types, bouteilles de vodka à la main, insistent pour que nous fassions connaissance. Leur chambre est au bout du couloir. En chemin nous croisons une vieille dame, celle qui n’arrive jamais à dormir. D’un signe de la main, elle semble nous dire : Ne vous inquiétez pas, je surveille jour et nuit. Après deux ou trois heures de discussions plus ou moins décousues, je quitte la chambre de mes voisins et je vais préparer mon petit-déjeuner dans la cuisine communautaire. Je commence à faire cuire mon omelette sur une des gazinières; soudain je réalise que je n’ai pas utilisé la bonne gazinière, celle affectée à la titulaire de la chambre que j’occupe. Ici, chacun se doit d’utiliser ses propres affaires, torchons, serviettes, couverts, casseroles, et même sa propre lunette de WC. Dans les Kommounalki, à part l’appartement, rien n’est en commun, rien n’est partagé. Et gare à celle qui, comme moi, utilise la gazinière d’un voisin. Sous le regard excédé d’une des habitantes, soixante-cinq ans, tablier à fleurs roses et mules défraîchies, je m’empresse de déposer ma poêle sur la bonne gazinière. Un peu radoucie, la dame au tablier me raconte qu’ici tout le monde l’appelle Françoise Sagan. J’ai lu tous ses livres, c’est mon idole, dit-elle avec une pointe de fierté. Et puis , coupant court à toute effusion, elle me rappelle qu’aujourd’hui étant mon jour de corvée, je dois, en plus de ma vaisselle, laver le sol de la cuisine… »
Extrait de Kommounalki paru chez Actes Sud