Françoise Huguier

Au doigt et à l’œil

1992, une catastrophe annoncée

En rééditant toutes les photos de mon aventure de six mois au-dessus du cercle polaire en 1992, un autre voyage a émergé : l’état des lieux au Grand Nord, la fonte des glaces et le réchauffement, dont on parlait peu à l’époque. On voit pourtant clairement sur les images que le processus avait déjà commencé. Il me semble important de le montrer. J’entends parler aujourd’hui de températures de + 38°, moi j’ai plutôt connu – 30°, et l’été ça ne dépassait pas 15. Je me souviens aussi, dans le brise-glace ou en hélicoptère au-dessus de la toundra et de la mer Arctique, de la banquise et des congères noires, que je pensais voir toutes blanches. C’est une vision dont je n’envisageais pas toutes les conséquences. Le permafrost, les glacières de conservation du poisson sous la terre étaient gelés, on ne se rendait donc pas compte du danger. Pourtant, avec la fonte du permafrost, la subsistance des villes, des villages et des habitants est en péril. Les Nenets, éleveurs de rennes, qui a l’époque étaient 40 000, se battaient déjà contre la prospection de gaz qui empêche les brigades de rennes de passer. Les Nenets annonçaient déjà le futur, les chefs de villages, les responsables des kolkhozes, commençaient aussi à l’évoquer. Mais c’est seulement après les années 1990 que les dénonciations du saccage de l’environnement et le cri des peuples du Nord se font entendre, notamment à Yamal. En 1992, je ne l’ai jamais avoué, mais j’ai voulu finir ma vie dans un cimetière inuit, sur une île entre l’Alaska et la Russie, j’attendais la mort. Valodia Barkin, mon interprète, affolé, m’a obligée à partir alors qu’il commençait à neiger et qu’on ne voyait plus l’hélicoptère. Je le remercie, car si j’étais morte dans ce cimetière, je n’aurais jamais pu témoigner de l’état du Grand Nord sibérien russe de l’époque.